Une lutte sans moyens contre la faim
Schizophrenie des Nations unies

Tout le monde connaît les chiffres de l'horreur. 36 millions d'êtres humains sont morts de faim ou de ses suites immédiates (maladies de carence , Kwashiokor, etc..) l'an 2000. Pourtant, en l'état actuel des forces de production agricole, la planète pourrait nourrir sans problème 12 milliards d'êtres humains. Or, nous nous sommes que la moitié de ce nombre... Nourrir sans problème signifie donner à chaque personne, chaque jour, une nourriture équivalente à 2700 calories.

Les hécatombes de la faim ne relèvent donc pas d'une quelconque fatalité, mais d'un véritable génocide. Josué de Castro écrivait déjà, il y a un demi-siècle : "quiconque a de l'argent mange. Qui n'en a pas meurt ou devient invalide." Pour chaque victime de la faim, il existe un assassin.

Cependant, les nations unies, les organisations non gouvernementales, les états "civilisés" réagissent de façon diamétralement opposés à ce génocide silencieux. En effet, deux positions s'affrontent.

Lors de la conférence mondiale des droits de l'homme à Vienne, en 1993, les états du monde ont proclamés les droits économiques, sociaux et culturels. Ceux-ci s'ajoutent désormais de façon complémentaire, équivalente et universelle aux droits civiques contenus dans la déclaration de 1948. Parmi ces droits nouveaux, acceptés par tous les états saufs les États-Unis le droit à l'alimentation figure en première en ligne. Comment le définir ? Il s'agit du droit d'avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit indirectement, au moyen d'achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique et physique, individuelle et collective, libre d'angoisse, satisfaisante et digne.

Confirmé par le sommet alimentaire mondial organisé par l'organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, en 1996, le droit à l'alimentation constitue une rupture épistémologique : jusqu'ici la production, la distribution, le transport, etc., des aliments dans le monde relevaient exclusivement du marché. Un sac de riz, 1 l de lait, un quintal de blé étaient considérés comme des marchandises pareilles aux autres. Le libre marché capitaliste s'en chargeait exclusivement. D'ailleurs, jusqu'à présent, c'est la bourse des matières premières agricoles de Chicago qui, chaque jour ouvrable, fixe les prix des principaux aliments. Six sociétés transcontinentales de l'agro-alimentaire et de la finance dominent cette bourse. Les prix qu'elles élaborent journellement sont la plupart du temps lefruit de spéculation compliquées portant sur des contrats à terme, des pyramides de dérivés, etc..

Or, vu le nombre constamment grandissant des victimes de la dénutrition et de la faim, la majorité des états considère que l'on ne peut plus laisser au libre jeu de l'offre et de la demande la distribution de la nourriture dans le monde, même si l'aide humanitaire d'urgence dispensée par les organisations gouvernementales et non gouvernementales, vient périodiquement en aide aux victimes et laissés pour compte du marché.

En avril 2000, la commission des droits de l'homme des nations unies désigna un rapporteur spécial chargé d'élaborer la nouvelle norme du droit international et de faire des propositions sur la manière de la rendre effective.

4 préceptes immuables


Mais, au droit de l'alimentation, les États-Unis, l'organisation mondiale du commerce, le fonds monétaire international, la banque mondiale et les principales sociétés transcontinentales privées opposent le "consensus de Washington". Ce dernier comporte quatre préceptes immuables applicables dans le monde entier, à n'importe quelle période de l'histoire, à n'importe quelle économie, sur n'importe quel continent : privatisation et dérégulation, stabilité macro économique et compressions budgétaires.

Le consensus est en fait un ensemble de gentlemen agreements élaborés tout au long des décennies 1970 et 1980 entre les organisations financières internationales et la réserve fédérale américaine visant à supprimer graduellement les mesures régulatrices imposées aux marchés financiers par les états et obtenir, à terme, la libéralisation totale de ces marchés.

Pour les fonctionnaires du FMI, de l'OMC, de la banque mondiale et du département du trésor américain, le consensus de Washington constitue aujourd'hui l'alpha et l'oméga, la loi et les prophètes. Il détermine leur pratique quotidienne. Ces articles de foi fondent la doxa monétariste. Pour les peuples du Tiers-Monde, les conséquences de cette opposition entre droit à l'alimentation et consensus de Washington sont catastrophiques. Les institutions de Breton Woods, l'OMC et le trésor américain disposent d'un pouvoir de contrainte, d'un pouvoir financier infiniment supérieurs à ceux que manient la FAO,le PAM, l'UNICEF, l'organisation mondiale de la santé ou la commission des droits de l'homme de l'ONU.

Prenons le cas du Niger, deuxième pays le plus pauvre du monde selon l'indice de développement humain du programme des nations unies pour le développement en l'an 2000. Habité par quelques-unes des civilisations les plus merveilleuse de l'humanité - Haoussa, Djerma, touaregs, Peul , ce pays s'étend sur 2 millions de kilomètres carrés. Mais 3 % seulement de ses terres sont arables. Après deux coups d'état militaires en 10 ans, les institutions démocratiques maintenant paraissent solides. Or voilà que deux fléaux s'abattent actuellement sur le pays : le FMI et le déficit alimentaire. La récolte 2000 a été mauvaise et le déficit des stocks dépassent les 160.000 tonnes de mil. Le gouvernement de Monsieur Hamar amadou a réussi, à force de démarches inlassables auprès des organisations internationales et des états occidentaux, du Japon, à combler plus ou moins le déficit alimentaire. Personne, pour l'instant, n'est mort de faim. Mais, en même temps, le FMI impose au Niger, dont la dette extérieure dépasse 1,6 milliard de dollars, un programme d'ajustement structurel draconien ainsi qu'une cure de privatisation et de libéralisation à outrance.

Grâce à la qualité professionnelle de ses éleveurs et à la composition particulière de son solde (riche en sel), le pays possède des troupeaux de boeufs, de moutons, de chameaux célèbres dans toute l'Afrique sahélienne. Des 20 millions de têtes de bétail de toutes sortes, beaucoup sont exportés vers les sultanats du bord du Nigeria, vers Bamako (Mali), vers les grandes villes de la côte atlantique. Les animaux constituent un revenu essentiel pour des millions de familles. Cependant, la privatisation de l'office nationale vétérinaire produit des conséquences néfastes. Beaucoup d'éleveurs ne peuvent plus payer les prix exorbitant des vaccins, des vitamines et des médicaments antiparasites, exigés par les commerçants privés. Quant à la validité de ces produits vétérinaires, aucun contrôle n'existe plus. Niamey est à près de 1.000 km des ports de l'atlantique. Souvent les commerçants mettent sur le marché des vaccins et médicaments périmés. Les bêtes meurent. Les familles sont ruinées.

La privatisation rampante menace également l'office national des produits vivriers du Niger. Ce dernier possède une flotte de camion particulièrement performants, avec des chauffeurs expérimentés. Mais 11.000 villages et campements permanents s'éparpillent sur l'immense territoire. Beaucoup d'entre eux sont difficiles d'accès. Or l'office national des produits vivriers du Niger a, jusqu'ici, assuré le transport des semences des secours d'urgence en période de famine à presque tous les villages concernés. Désormais, ces services sont menacés et des sociétés de transport privées reprennent les camions. Celles-ci fonctionnent - et c'est normal - selon les critères de la rentabilité monétaire. Un chauffeur est immédiatement renvoyé s'il prend le moindre risque pour son camion sur une piste trouée. Résultat : beaucoup du village ne sont plus approvisionnés.

Enfin,l'OMC précrit, à juste titre, qu'aucun animal ne peut être exporté d'une région où suivi une épidémie ou un foyer d'infection. Or sous le régime de fer du FMI auquel le gouvernement du Niger est totalement livré, il n'existe plus de laboratoire central digne de ce nom, capable de fournir aux éleveurs les certificats de non contamination. Aux marchés hebdomadaires de Belayara, les bêtes sont néanmoins vendues aux marchands nigérian, béninois, maliens. Utilisant habilement l'absence de certificat, ces marchands font régulièrement baisser le prix de vente sur le marché.

Ce qui se passe actuellement au Niger se reproduit avec des variations en Guinée Conakry, en Mauritanie, au Tchad et ailleurs dans l'immense tiers monde. Les programmes d'ajustement structurels imposés par le FMI ont des conséquences négatives sur la situation nutritionnelle et sociale de la plupart des pays. La grande organisation non gouvernementale anglaise OXFAM a ainsi enquêté sur le programme imposé à la Zambie au début des années 1990. Son bilan : "le produit national brut n'a pas augmenté depuis 1991. La stabilisation économique n'a pas été établie. Le revenu par tête d'habitant a reculé et 70 pour cent de la population vit aujourd'hui dans l'extrême pauvreté."

En ce qui concerne le développement, l'ONU vie en pleine Schizophrénie : tous les mois d'été, au palais des nations à Genève, siège le conseil économique et social, censé veiller à la cohérence et la coordination de toutes les démarches d'aide et d'investissement des différentes agences. Tous les directeurs et directrices des organisations spécialisées, "programme", fond et agences de l'ONU y assistent.

Mais le FMI et la banque mondiale, qui font partie de l'ONU (pas l'OMC), luttent de leur côté pour le fonctionnement le plus efficace possible du marché financier, le plus librepossible et récusent de fait le droit à l'alimentation. Il réduisent constamment à néant les faibles avancées en matière de développement humains obtenus par l'UNICEF, la FAO, le PAM, l'OMS et d'autres agences dans les pays du sud.

Faut-il incriminer comme font plusieurs auteurs - notamment le lauréat du prix Nobel d'économie 2000 et ancien économiste en chef de la banque mondiale, Joseph Stiglitz - des erreurs de direction politique de l'ONU ? Rien n'est moins sûr.

Avec courage et détermination, le secrétaire général actuel, Monsieur Kofi Annan, fait ce qu'il peut. Mais comment régaté contre la puissance cumulée des oligarchies financières transcontinentales et de leurs mercenaires des institutions deBretton Woods et de l'OMC ? Monsieur Annan est un partisan déterminé du droit l'alimentation. Mais il lui est évidemment difficile de réformer la banque mondiale et le FMI, d'affronterl'OMC, de ramener à la raison le département du trésor américain.

Supplique aux maîtres du monde

C'est pourquoi Monsieur Annan a décidé de s'adresser directement aux maître du monde. Il leur propose la signature d'un Global compact - un pacte global entre eux-mêmes et les nations unies. C'est le 30 janvier 1999, au forum économique mondial de Davos, qu'il a présenté pour la première fois cette idée. Le forum réunit annuellement les dirigeants des 1000 sociétés transnationales les plus puissantes. Pour être admis au "club des 1000" (c'est le titre officiel), il faut diriger un empire bancaire, industriel ou ou de services dont le chiffre d'affaires annuel dépasse 1 milliard de dollars. Le pacte global comporte neuf principes. Dans le document officiel, établi par les services du secrétariat général, chacun de ces principes bénéficient une exégèse explicative. Ils portent sur la sauvegarde de l'environnement, de l'emploi, des libertés publiques ; la justice sociale ; les rapports Nord sud , etc..

Dans le bunker des congrès, situé au centre de la petite cité helvétique, en ce mois de janvier glacé, Monsieur Kofi Annan demanda au maître du monde "d'accepter et de mettre en oeuvre" le pacte global. Il leur demanda d'appliquer les principes évoqués dans leurs activités quotidiennes et de soutenir leur mise en pratique par les collectivités publiques et les états.

Le discours du secrétaire général présente une variation contemporaine de l'utopie populaire de la prairie où l'agneau paît à côté du loup. À Davos, les seigneurs ont adoré ! Ils ont applaudi debout le secrétaire général et son pacte pendant plusieurs minutes. Et pour cause ! Chaque société signataire a le droit de faire figurer sur tous les prospectus, documents, envoi publicitaire, etc., le logo blanc et bleu des nations unies. Parmi les signataires figurent certaines des principales sociétés transnationales de l'alimentation. Ce qui évidemment pose problème, c'est le contrôle sur l'application pratique des principes du pacte global par les sociétés transnationales qui y adhèrent.

Comment finira la bataille entre les droit l'alimentation et le "consensus de Washington" ? Nul ne le sais. Mais la mobilisation, l'engagement dans la bataille de la nouvelle société civile planétaire seront déterminants pour son issue.