Santé : Aux États-Unis, la prescription de certains psychotropes à des jeunes âgés de moins de vingt ans a triplé en 10 ans. Les effets de ces médicaments sur le développement des enfants restent pourtant totalement méconnus.
Tout au long des années 90, médecins de famille
et psychiatres américains ont comparé leurs notes dans les couloirs
des hôpitaux et lors des congrès. À la base de leur interrogation
: l'augmentation du nombre de prescriptions de médicaments conçus
pour traiter les maladies mentales chez l'enfant. Une tendance que les chercheurs
viennent de confirmer et de chiffrer : le nombre de jeunes patients traités
avec des stimulants, des antidépresseurs, des anticonvulsifs censés
« stabiliser l'humeur » et autres drogues psychotropes jusqu'alors
prescrites surtout pour les adultes a triplé.
Cette hausse est si brutale et si soudaine que les milieux médicaux eux-mêmes
ont engagé un débat animé pour déterminer si ces
médicaments sont ou non prescrits trop facilement. Pour certains chercheurs,
ces nouvelles études soulèvent d'autres questions fondamentales
comme le fait de savoir si les jeunes consommant de la Ritaline ou du Prozac
ont fait l'objet d'un bon diagnostic est si les dosages, voir le traitement
lui-même, sont adaptés.
Les médecins ont de plus en plus tendance à considérer
des troubles tels que le trouble hyperactif avec déficit d'attention
comme des « problème à vie », estime Julie Zito, professeur
associé de pharmacie à l'université du Maryland, à
Baltimore. « Si cela signifie que l'on peut mettre un enfant sous stimulants
dès l'âge de trois ans et lui dire qu'il en prendra toute sa vie,
c'est que nous vivons dans un monde bien étrange », dit-elle.
En janvier dernier, Julie Zito et ses confrères de deux autres institutions
ont publiés ce que beaucoup considèrent comme l'étude la
plus complète sur les tendances en matière de traitement à
base de psychotropes pour les jeunes de moins de vingt ans. Entre 1987 et 1996,
la proportion de jeunes patients traités avec des psychotropes dans le
cadre de trois grands programmes de santé a doublé, voir, dans
certains cas, plus que triplé. L'étude couvrait neuf classes de
médicaments et portait sur près de 900 000 jeunes. « C'est
une augmentation extrêmement importante de la consommation », estime
Julie Zito, surtout sur une aussi courte période. Une autre étude,
publiée au printemps 2002, analysait la prépondérance de
traitement à base de psychotropes chez une population de 500 000 jeunes.
Sa conclusion était que le nombre de jeunes traités avec un psychotrope
appartenant à l'une des quatre classes étudiées a grimpé
de 3,8 % en 1995 à 5,2 % en 1999.
Selon Julie Zito, ces études soulèvent deux question : «
pourquoi ces chiffres ont-ils connu une telle augmentation en si peu de temps
? » Et « jusqu'à quel point cette hausse de la consommation
se justifie-t-elle ? »
Les raisons de cette augmentation sont nombreuses -- et pour la plupart très
hypothétiques. Certains chercheurs y voient un effet de l'explosion de
la recherche sur le fonctionnement du cerveau au cours des années 80
et 90. Les découvertes qui en ont découlées ont conduit
la communauté médicale a chercher à tout prix une cause
physiologique aux problèmes comportementaux des jeunes. Ainsi, lorsqu'un
enfant aujourd'hui semble incapable de rester assis en classe, on a d’avantage
tendance à le traiter pour un deséquilibre chimique du cerveau
qu'à lui apprendre à changer d'attitude. Cette tendance nouvelle
à formuler un diagnostic neurologique a entraîné automatiquement
une augmentation de traitement pharmaceutique.
Beaucoup moins cher qu'une psychothérapie
Les changements dans le système de santé américain y sont
sans doute aussi pour quelque chose. À cause de leur hausse vertigineuse,
les frais de santé sont devenus une question nationale à résoudre
de toute urgence et, pour tenter de les réduire, de nombreux hôpitaux
publics ont externalisés leurs services psychiatriques au profit de clinique
privée spécialisées, explique Michael Jellinek, chef du
service de pédopsychiatrie au Massachusetts Hospital de Boston. Dans
un éditorial accompagnant la publication de janvier 2003 de Julie Zito,
il explique que les cliniques privées ont compris qu'elle pouvaient réduire
leurs coûts et faire des bénéfices juteux en préférant
les médicaments aux consultation et autre types de « thérapie
par la parole. Prescrire des médicaments permet aux médecins de
recevoir un plus grand nombre de patients. En un mot, les raisons économiques
ont pesées en faveur des médicaments.
Il ne faut pas oublier non plus la pression exercée par les patients
ou leurs parents, en insistant pour essayer un médicament qui à
eut des résultats satisfaisants sur le comportement de l'enfant d'un
de leurs voisins ou amis, dit Oakley Ray, professeur de psychiatrie à
l'université de Nashville, et secrétaire exécutif de l'American
college. En l'absence de preuves flagrantes de risques significatifs, l'espoir
que place un patient dans un médicament et le fait qu'il soit prêt
à frapper à une autre porte si, son pédiatre habituel refuse
de le prescrire sont des des motivations suffisaemment fortes pour que le médecin
rédige l’ordonnance. Prescrire de « puissants anti-psychotiques
» correctement dosés à un bambin de deux ans dignostiqué
schizophrène au lieu d’attendre qu’il soit plus grand «
résout le problème pour le patient, pour les parents, pour la
société et pour le médecin », affirme Oakley Ray.
L'une des difficultés majeures est que les professionnels
de santé ne disposent que de très peu de données sur les
effets secondaires à long terme sur l'esprit et le corps en pleine croissance
d'un enfant. Mais cela n'empêche pas de nombreux médecins de les
prescrire. Passant outre les restrictions liées à l'âge
et les dosages recommandés sur la notice, il se réfère
à leur expérience clinique pour réduire la dose à
un niveau qui, estiment-t-ils, sera efficace chez un jeune.
En 1997, la food and Drug Administration a commencée à inciter
les laboratoires pharmaceutiques à mener des études pour définir
les dosages appropriés à des jeunes pour toute une série
de médicaments, dont certains psychotropes. En juin 2002, par exemple,
elle a approuvé l'usage de la ritaline et en a établi le dosage
pour les enfants âgés de 6 à 12 ans.
« La situation s'est un peu amélioré » ces dernières
années, dit le docteur Lachmann, de Yale. « Nous en savons un peu
plus long sur les effets à court terme, sur l'efficacité du médicament,
ainsi que sur l'éventail de ces effets secondaires. » Mais, disaient
chercheurs, s'est médicaments continuent à être prescrit
pour des applications qui n'ont pas été approuvées par
l'AFP à, et parfois même pour des enfants d'âge préscolaire.
En outre, les professionnels de la santé des enfants craignent de plus
en plus les mauvais diagnostics. Ainsi, dans un numéro récent
de la revue Pediatrics, des chercheurs de l'université de Louiseville
rapporte que certains troubles du sommeil peuvent entraîner chez les jeunes
une hyperactivité pouvant être qualifiée de trouble hyperactif
avec déficit d'attention. Or ils ont découvert qu'une fois leurs
troubles du sommeil réglé environ un quart des enfants (de cinq
à sept ans) diagnostiqués hyperactifs pouvaient arrêter
d'être traités pour hyperactivité.
La ritaline pourrait modifier le cerveau des enfants
Paradoxalement, l'un des principaux traitements pour les jeunes diagnostiqués
hyperactifs se compose de stimulants du type amphétamines. D'où
la crainte qu'une exposition à ce jour de médicaments dès
le plus jeune âge ne les entraînent par la suite a ce droguer. Au
cours d'une expérience menée sur des rats, une équipe de
chercheurs du McLean Hospital, à Belmont, dans le Massachusetts, est
parvenue à des conclusions diamétralement opposées. Des
rats exposés très jeunes au Méthylphénidrate chlorhydrate
[ritaline], un stimulant souvent prescrit aux jeunes diagnostiqués hyperactifs,
ne trouvent par la suite aucun plaisir à la cocaïne. Chez certains,
le produit va jusqu'à provoquer une forte réaction physique de
rejet.
Voici donc une crainte écartée. Mais cette étude pourrait
signifier que le cerveau subi des modifications, dit William Carlezon Jr., responsable
du laboratoire de génétique comportementale au McLean Hospital,
qui a participé à ces recherches. Il explique que le Méthylphénidrate
chlorhydrate pourrait augmenter la quantité d'une substance chimique
qui, dans les premières années de la croissance d'un être
humain, dirige la croissance des neurones du cerveau. Les traitements à
base de Méthylphénidrate chlorhydrate « pourraient modifier
fondamentalement la mise en place des connexions », entraînant de
ce fait une «reprogrammation du cerveau », estime-t-il. Selon lui,
l'une des questions fondamentales consiste à savoir si cette reprogrammation
a lieu ou non, et, le cas échéant, si elle a la capacité
de supprimer le système de récompense-plaisir et de conduire ultérieurement
à une dépression. Des expériences sont en cours.
Peter N. Spotts