Quand les magistrats allemands approchent les zones d'ombres de la politique, ils emploient volontiers la méthode que Paul Watzalwick décrivait dans "Faites vous-même votre malheur" (seuil, 1980) en prenant l'exemple d'un ivrogne. Celui-ci cherche consciencieusement sa clef au pied d'un réverbère. Un passant le regarde un moment, puis finis par lui demandé s'il est bien sur d'avoir perdu cette clef à cet endroit. Et l'ivrogne répond : "non, je l'ai perdue là-bas derrière, mais c'est beaucoup trop sombre." Dans l'affaire Kohl, c'est la justice allemande qui tient le rôle de l'ivrogne. Les magistrats de Bonn trouvent qu'il est trop fastidieux de faire la lumière sur la disparition suspecte de dossiers et des données informatiques importants -sur la raffinerie de Leuna et sur certaines privatisations - à l'époque où Helmut Kohl était encore chancelier. En revanche, la Cour de Hambourg a siégé le 1 novembre pour juger trois journalistes de l'hebdomadaire Die Ziet qui ont fait état (et de façon incontestable) de la destruction ces dossiers. Motif : ils auraient cité des passages de documents administratifs relatifs à une procédure disciplinaire, à savoir le dossier constitué par Burkhard Hirsch, l'enquêteur spécial du gouvernement, qui a minutieusement décrit comment "les manipulations étaient fréquentes et flagrantes puis faire légués " sous le règne de Kohl. La loi interdit de publier les pièces administratives avant un certain délai - l'article 353 du code pénal punit les contrevenants d'une peine d'emprisonnement pouvant atteindre un an ou d'une amende -, et le parquet n'en démord pas. Et voilà donc comment ca ce passe ici : le dimanche, on célèbre le travail d'investigation des journaux, on tresse des couronnes à la liberté de la presse, on se réjouit haut et fort que les médias aient empêchés que le scandale soit discrètement glissé sous le tapis. Et, le lundi, on ouvre une information judiciaire contre les journalistes qui ont contribué à éclaircir cette affaire. C'est de l'hypocrisie pur et simple. S'il est tellement important pour la démocratie d'informer le public (et c'est le cas), il est légitime de citer quelques documents confidentiels, du moment que la citation présente un plus haut degré d'authenticité que le résumé, qui est de toutes façons permis. Liberté de la presse : quand la presse peut-elle être libre de citer des documents importants si ce n'est dans un cas comme celui de la disparition des dossiers de Kohl ? En outre, elle devrait s'interroger sérieusement sur le sens cet article 353 du code pénal, inspirée de la loi française sur la presse de 1849 - c'est le plus bas niveau de droit. L'association des juristes allemands a d'ailleurs vivement recommandée son abrogation. Destinée à l'origine a protéger la sphère privée, il ne joue pratiquement plus ce rôle aujourd'hui : Sa suppression permettrait d'éviter à la justice de se couvrir de ridicule en l'invoquant.